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Forum pour la lutte contre l'impunité et l'injustice en Mauritanie.
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19 avril 2013

Avril 1989-Avril 2014 : 25ème anniversaire des déportations de Noirs mauritaniens par le régime raciste arabe de Mauritanie.

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Le grand exode des Noirs mauritaniens.
JEUNE AFRIQUE





De notre envoyé spécial
Zyad Liman.




Le long du fleuve Sénégal, de Rosso, à l'Ouest, jusqu'à Bakel, à l'Est, près de la frontière malienne, ils étaient déjà, fin mai, près de quinze mille, venus de Mauritanie. Ils sont partis    parce qu'ils ont été  expulsés ou, tout simplement, parce qu'ils avaient peur.
Zyad Liman  a rencontré ces réfugiés, recueilli leurs témoignages et constaté, sur place, que leurs rangs ne cessent de grossir. La question, dès lors, ne peut  être posée : s'agit-il là de l'amorce d'un déplacement massif  des populations noires mauritaniennes ?      

Le fleuve Sénégal, frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, est étrangement calme. Pas de trafic, pas de  bateaux, plus de commerce. Seules quelques pirogues de pêcheurs, côté   Sénégal, s éloignent prudemment à quelques mètres du rivage. La contrebande, autrefois féroce, entre le Sénégal et la Mauritanie n’est plus qu'un souvenir. La ville de Rosso est à moitié sénégalaise, à moitié mauritanienne. Coupée en deux par le fleuve, cet ancien haut lieu de la contrebande entre les deux pays est redevenu  un village sans grande importance. La rive sénégalaise, au poste frontière à la sortie de la ville, les douaniers ne cachent plus leur ennui : « Depuis que les Mauritaniens sont partis et que la frontière, il n'y a plus rien contrôler... »

Le débarcadère, autrefois si animé, est déserté. Les petits commerçants du coin sont déjà partis chercher fortune sous d’autres cieux- Seuls signes d’activité, La tente de la Croix Rouge et l’attroupement devant le poste de douane, au bord du fleuve. Nous sommes le 31 mai. A l’intérieur, au moment où nous arrivons un homme et une femme noirs. Ils viennent de traverser le fleuve - le couple est interrogé par trois douaniers.

- D'où venez-vous ?
- De Nouakchott
- Comment êtes-vous venus ?
- En camion, jusqu'à la rive.
- Quel est votre nationalité ?
- Mauritanienne.


Le couple n'a plus rien, hormis les vêtements qu'il porte. L'homme précise :
« On a même pris mon chapelet et les boucles d'oreilles de ma femme ».
Le douanier nous montre le cahier des arrivées. C’est un registre en trois colonnes prévues spécialement pour les Mauritaniens noirs expulses.

Les rapatriés sénégalais sont inscrits sur un autre registre. Sur la colonne de droite on trouve les noms, la colonne du milieu mentionne les fonctions exercées en Mauritanie et la dernière colonne précise k montant des biens confisqués. La mention - totalité » y apparaît plus d'une fois.
On trouve sur la liste un chef de division de la Sonader (Société nationale de développement rural), des personnels hospitaliers de Nouakchott, dont un chef de service, plusieurs agents des douanes, des secrétaires à la présidence de la République, des officiers de police...

Le douanier sénégalais ajoute : « Nous avons accueilli ici jusqu'à cinquante Mauritaniens noirs par jour, expulsés de leurs pays». Au centre d'accueil, à quelques mètres du débarcadère, nous dénombrons une quarantaine de personnes, qui attendent là qu'on leur indique une destination, un endroit où ils pourront commencer une nouvelle vie. Aucun de ceux avec qui nous nous sommes entretenus n'était venu auparavant au Sénégal.

Dans le groupe, nous trouvons deux militaires de l'Armée mauritanienne. Des officiers. L'un a été blessé par les balles du Front Polisario, il y a dix ans. Il montre sur sa cuisse droite l'estafilade laissée par un projectile. L'autre, présent au centre depuis le 20 mai, est lieutenant et s'exprime beaucoup plus facilement en arabe qu'en français : « Dans ma caserne, Akjoujt, au nord de Nouakchott, les officiers maures ont mis aux arrêts tous les officiers noirs. Nous sommes accusés de trahison, d'appartenir au FLAM (Front de Libération des Africains de Mauritanie), ou encore d'avoir des liens avec le Sénégal. J'ai passé vingt jours au poste de police de la ville. Puis on m’a mis dans un camion, à destination de la frontière sénégalaise.

Selon lui, et ce témoignage n'est pas isolé, la moindre trace d'un lien avec le Sénégal, une correspondance par exemple, peut motiver l'expulsion.  Un commerçant de Rosso-Sénégal nous raconte l'histoire d'Idrissa Wade.
Idrissa était l'imam de Rosso-Mauritanie et conseiller municipal de la ville. La famille est mauritanienne depuis des générations. Selon plusieurs témoignages concordants, il a été expulsé de Mauritanie, avec une partie de sa famille, le 28 mai. Ses papiers d'identité lui ont été confisqués et déchirés. «Le plus absurde, ajoute le commerçant, c'est que ses deux fils, footballeurs bien connus à Nouakchott, jouaient un match à Bamako et ne savaient même pas que leur père était expulsé... »

De Rosso à la ville de Ndioum, 140 km similaires. Tout le long du fleuve, les habitants des villages mauritaniens traversent, le plus souvent sans rien emporter, vers la rive sénégalaise. A
quelques kilomètres à  l'est du complexe sucrier de Richard Toll, nous avons pu assister au débarquement de plusieurs dizaines de personnes qui venaient de traverser avec quelques valises. « Harcelés », disaient-ils, ils avaient préféré fuir.

Pour le moment, une grande partie de ces transfuges est composée d'éleveurs Peulhs, auxquels on a confisqué troupeaux et nourriture. Dans la région de Dagana, au Sénégal, ils se sont regroupés dans des abris de fortune, sur plusieurs kilomètres, le long de la route.
Leur unique rempart contre les vents de sable et la chaleur est constitué de trois branchages et d'un peu de toile. Les témoignages sont souvent accablants : « Ils se sont d'abord attaqués aux éleveurs nomades, puis aux villageois ».

Les Haratines, qui se considèrent comme des « Maures noirs » et qui ont joué un rôle particulièrement actif lors des sanglantes émeutes d'avril à Nouakchott, « précédent souvent les militaires ou les gendarmes dans les villages », soulignent ces réfugiés. Ils menacent les habitants, saisissent tous les biens avant de les forcer à traverser le fleuve ».

Au nord de Thillé-Boubacar, un groupe de Peulhs, prévenu par un habitant d'un village voisin, a réussi à faire traverser son troupeau. Les bêtes se sont disséminées dans les champs alentour. Le chef du groupe raconte qu'ils ont dû se battre contre des Haratines, venus en pleine nuit, pour protéger leurs biens. « Nous avons eu des blessés, mais personne n'a été tué ».

Plus on voyage vers l'Est, plus la situation est tendue. Près de trois mille personnes ont été regroupées au camp de Démet. La Croix-Rouge, très active dans la région, a ouvert un camp-hôpital, quelques kilomètres plus loin, à Ndioum, pour prendre en charge ces réfugiés. Les premiers expulsés qui s'y sont regroupés viennent tous du même endroit de la Mauritanie, la bourgade de Tidjikja, à plus de huit cents kilomètres au Nord. Ils se sont organisés et ont élu un président, professeur de français au collège de la ville. II a pour «adjoint », l'inspecteur des Eaux et Forêts de la localité.

Voici leurs témoignages : « Nous étions en majorité des fonctionnaires, détachés dans cette région essentiellement peuplée de Maures.Vers le 6 mai, nous avons été convoqués chez le gouverneur de la région. On nous a demandé d'amener des dossiers prouvant notre nationalité mauritanienne. Ces dossiers ont été immédiatement saisis. Nous avons été retenus dans un camp militaire pendant deux jours. Le 8 mai, on nous a demandé de retourner au travail. Entre-temps nos maisons avaient subi une perquisition en règle. A partir du 10 mai, nous avons été à nouveau convoqués, un par un, par la police de la ville. Nous étions censés passer devant une commission spéciale.

Ces commissions, chargées de statuer sur la nationalité, sont composées d'officiels mauritaniens, mais aussi de volontaires civils. N'importe qui peut en faire partie. Ses membres se montrent particulièrement zélés. A partir de ce moment, nous avons été placés en détention.
Fin mai, la plupart des fonctionnaires Négro-mauritaniens de la région étaient en prison.».

« Nous avons dû traverser le fleuve à la nage.
Les Sénégalais nous ont recueillis en pirogue. »



Le 30 mai, les gendarmes et les militaires sont allées en ville  pour chercher nos femmes et nos enfants, qui n'ont rien pu emmener avec eux, ni bagages ni biens, rien que les habits qu'ils portaient. On nous a mis dans des camions-bennes.

Nous sommes sortis de la ville escortés par le  gouverneur, par des militaires et par le chef de la gendarmerie. Nous avons roulé pendant près de 24 heures, la plupart du temps de nuit
A Bogué, au bord du fleuve, on nous a fait traverser la ville, pratiquement nus, après une nouvelle fouille en règle. Impossible de conserver la moindre pièce, le moindre document, le moindre vêtement de quelque valeur.

 Ils ont voulu nous faire traverser le fleuve à la nage. Ce sont des sénégalais qui sont venus nous chercher en Pirogues. »  L'ex - inspecteur des Eaux et Forets raconte que le commissaire de la ville, Djallo Ibrahim, et son adjoint, Sy Samba, tous les deux Négro-mauritaniens ont été démis de leurs fonctions et emmenés à Nouakchott. Pour enquête. « Ils ont fait montre de trop de zèle dans la protection des Noirs de la ville ». Le même sort avait, dit-il, été réservé au responsable régional de la météorologie, l'ingénieur Gako Sylla. Le groupe n'a plus eu aucune nouvelle d'eux. Un fonctionnaire, Abdoulaye. est le seul membre du groupe à avoir réussi à conserver ses papiers d'identité, en les dissimulant à l'intérieur de sa ceinture. Le président du camp et son adjoint ne veulent pas donner leurs noms, ni être pris en photo, par peur des représailles.
L'inspecteur des Eaux et Forêts a été expulsé sans sa famille. Il n'a pas de nouvelles de sa femme et de ses trois enfants.

Même situation à Rosso, où un petit commerçant gambien appréhendé à Nouakchott, alors qu'il allait poster une lettre, attend des nouvelles de sa femme et de ses enfants. Le regard pointé sur le débarcadère, il s'exprime dans un français hésitant II est à l'affût de la moindre nouvelle. Il est extrêmement difficile d'avoir une évaluation précise du nombre de Mauritaniens expulsés de leurs pays. Un grand nombre d'entre eux n'ont pas encore été comptabilisés, d'autres ont été pris directement en charge par la population locale. Les estimations les plus prudentes de la Croix-Rouge et celles, concordantes, du HCR (Haut Comité des Nations unies pour les réfugiés), faisaient état, début juin, d'un minimum de quinze mille réfugiés.

Sur place, sur la rive sénégalaise, la situation est particulièrement précaire.
Les expulses ne survivent que grâce à la générosité de la population locale et aux efforts des ONG, en particulier ceux de la Croix-Rouge. Un peu partout les Sénégalais se sont organisés pour les aider, en collectant du riz, de l'argent, et en leur offrant un gîte. Cet afflux de réfugiés, après la vague des rapatriés sénégalais, a mis les villages et les villes du fleuve au bord de l'asphyxie économique. La nourriture est insuffisante et les faibles structures médical

 

es locales sont débordées. Les premiers élans de solidarité passés, des affrontements ne sont pas à exclure entre agriculteurs sénégalais et éleveurs peulhs de Mauritanie qui ont réussi à sauver leurs troupeaux.

Un peu partout dans la région la fièvre monte. La discrétion du gouvernement sénégalais, soucieux de ne pas envenimer une situation déjà fort tendue, est ouvertement critiquée par les habitants du fleuve qui y voient plus qu'un signe de mollesse. Plus grave encore paraît être la « racialisation » du conflit, côté sénégalais. A la grande sucrerie de Richard Toll, à une dizaine de kilomètres de Rosso, un cadre sénégalais ne cache plus sa fureur : « Ce que nous font les Maures est impensable. Et cela fait trop longtemps que cela dure. Il va falloir que l'on réagisse, avec ou sans Dakar!»

Un représentant en matériel agricole de la région raconte: «J'avais trois commandes de tracteurs dans la région du fleuve. Finalement je n'en ai vendu que deux. Les villageois m'ont expliqué qu'ils voulaient garder l'argent pour acheter des armes... » •

Jeune Afrique N° 1485, 21 juin 1989.


 

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